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Batouala : « de la littérature au Campus de l’Université de Kinshasa »( Tribune de Dr Tonduangu Kuezina Daniel)
Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons le silence sur les choses graves. On attribue ces mots au pasteur américain Martin Luther King. Témoin des abus de l’administration coloniale à Oubangui- Chari (actuelle République centrafricaine), René Maran, un fonctionnaire français d’origine martiniquaise n’a pas voulu se taire…il va décider de prendre sa plume et dénoncer les abus de la colonisation et va appeler les Français de métropole à y mettre fin. C’est dans le roman « Batouala » publié en 1921, qu’il fait un plaidoyer contre les abus du colonialisme. Il sera consacré, la même année, Prix Goncourt (le prix littéraire le plus célèbre en France).
Cinquante-sept années plus tard, au collège Elikya Saint Joseph, situé près de la Gare centrale au centre-ville de Kinshasa (capitale de la R.D.Congo) , école fondée le 19 mars 1917 par le prêtre missionnaire scheutiste belge Raphaël de la Kethulle de Ryhove (Tata Raphaël pour les Congolais), le cours de français dans les sections littéraires est assuré la dernière fois par monsieur Christian Schul car lui et d’autres professeurs belges vont quitter ce collège à la fin de l’année scolaire 1978-1979.
En effet le collège vient d’être restitué à l’archidiocèse de Kinshasa sur demande expresse du cardinal Malula. Le premier évêque congolais à entrer dans le Sacré Collège des cardinaux en 1969 veut, en confiant l’école aux jeunes prêtres de Kinshasa, tourner la page des coopérants belges mais aussi de la gestion désastreuse de l’administration congolaise (zaïroise à l’époque). Ce changement de paradigme est aussi dû au courant de l’inculturation dans l’Eglise catholique dont le cardinal est le porte étendard. Pour mémoire l’année 1980 sera marquée par la célébration du centenaire de l’évangélisation en R.D. Congo, elle va connaitre l’ordination de 5 prêtres kinois : Ntoto, Nlandu, Makamba, Lukelu et Bulamatari. Cette année est aussi celle de la première visite en R.D. Congo du Pape Jean Paul II, qui va ordonner 3 évêques dont le futur cardinal Monsengwo.
Il va s’en suivre ce qu’on appellerait aujourd’hui un mercato, car Christian Schul (professeur de français et d’histoire) et Jean Van Noyen (professeur des mathématiques), fleurons du collège Elikya Saint Joseph, vont partir au collège Boboto.
Vue du collège St Joseph/Elikya
Monsieur Schul était un personnage qui s’imposait par sa rigueur et sa carrure impressionnante (il me faisait penser à l’ancien président français Georges Pompidou). Il avait en outre quelque chose de particulier : il avait l’habitude de poser les mêmes interrogations ou examens dans ses différentes classes, plusieurs années de suite…Ma classe de cinquième scientifique de la section bio-chimie ne l’a eu qu’une seule fois, pas pour son cours de français.
En effet, il est venu surveiller notre examen d’histoire à la fin de l’année scolaire. Notre professeur nous avait demandé de plancher sur l’organisation de la société française au Moyen Âge. En constatant notre velléité de remettre nos copies au bout d’une heure d’examen, monsieur Schul, après avoir fait un tour de nos copies pour vérifier le rendement spontané de chaque élève, nous avait lancé d’une voix autoritaire, une phrase qui retentit encore dans ma tête : « j’ai parcouru vos copies, ce ne sont pas des réponses mais des éléments de réponse, et je vous rappelle qu’un examen de 2 heures durent 120 minutes… ».
Quand il arrive au Collège Boboto, il impressionne les élèves par son style ; il leur impose une première dictée sur « l’exécution de Marie Stuart ». C’est une dictée sans énoncé des signes de ponctuation, se souvient encore avec émotion Jérôme Bitumba, la tâche des élèves était de suivre son intonation afin de placer les signes de ponctuation…c’est une hécatombe lors de la remise des notes…
Les meilleures équipes ne sont pas battues deux fois de suite, dit-on…
Jérôme Bitumba va alors utiliser son réseau d’anciens de l’école Saint Charles Lwanga de Barumbu pour renverser la vapeur… en effet Joe Bit, c’est son pseudonyme, est le seul de sa classe à se retrouver au collège Boboto après le cycle d’orientation en 1976, tous ses condisciples ont été orientés au collège Elikya Saint Joseph : Julien Tshangu, Lokwa Djo Kis, Gabriel Mukunda, Jose Kola, José Lokilo, Simon Lumfila pour ne citer que ceux-là.
José Lokilo et Simon Lumfila d’heureuse mémoire vont se retrouver en section littéraire et seront élèves de monsieur Schul au collège Elikya saint Joseph. C’est Simon Lumfila (disparu prématurément au cours de l’année scolaire 1979-1980), un ami de quartier de Joe Bit, qui va remettre à ce dernier toutes ses copies d’interrogations et examens des cours de monsieur Schul… (les annales).
Rotonde du collège Boboto
Pour son cours sur le célèbre roman de René Maran, monsieur Schul a lu à ses nouveaux élèves du collège Boboto, 20 pages du récit de la mort de Batouala le chef du village et leur a demandé de lui en apporter le résumé le lendemain. Joe Bit est cette fois-ci très serein, car il a déjà récupéré les annales (sujets et corrigés) auprès de son pote du collège Elikya. Il va en faire part à son voisin Paul Balenza, et de fil en aiguille, cela va se répandre chez de tous les élèves …c’est ainsi que la parade a été trouvée contre le nouveau style déstabilisant de monsieur Schul….
Par la suite, c ‘est le collégien Floribert Masoso d’heureuse mémoire qui va hériter des notes de Joe Bit, et qui va transmettre la tradition des annales ou mieux des « bats » ou « batoualas » aux classes successives du collège Boboto.
Notre génération arrive au campus de l’université de Kinshasa en 1980. Nous découvrons des nouvelles méthodes d’enseignement des professeurs très différents les uns des autres, ainsi que l’immensité et la complexité des cours … quelques mois après notre initiation aux études universitaires, notre appariteur à la Faculté de médecine nous annonce les épreuves partielles…cet inoubliable appariteur s’appelait « monsieur Katshitshi ». Il me rappelait les grands frères qui nous voulaient du bien dans nos quartiers d’enfance mais qui profitaient de toutes les occasions pour nous faire peur…
Au moment de cette annonce, je faisais partie d’un groupe d’étudiants qui passaient beaucoup de temps « au nouvel auditoire », c’est comme cela que nous appelions les services culturels des ambassades que nous visitions dans la commune de la Gombe pour guetter les occasions d’obtenir une bourse d’études pour l’étranger (Chine, Corée du Nord, Belgique, France etc.).
Cette annonce faite par l’appariteur, doublée de la peur d’être éliminés en cas d’échec aux épreuves partielles va nous réveiller de notre torpeur , de notre candeur et de notre insouciance…c’est alors que naturellement les jeunes carabins que nous sommes devenus , allons adopter la méthode qui a marché avec monsieur Schul aux collèges tant Elikya que Boboto : Il faut bien sûr potasser les volumineux cours parfois indigestes mais surtout ne pas se présenter aux épreuves sans avoir résolu plusieurs fois les « bats » ….c’est ainsi que certains d’entre nous allons survivre à ces épreuves partielles menaçantes !
Batoualas ou Bats, c’est comme ça que les étudiants de l’université de Kinshasa nomment les annales ou des sujets et corrigés des examens des années antérieures …mais c’est aussi et surtout une histoire d’amitié entre les élèves de deux des écoles secondaires célèbres et non moins rivales de la ville de Kinshasa : le collège Boboto et le collège Elikya Saint Joseph.
Rosoy, le 1/09/2022
Tonduangu Kuezina Daniel
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À la Une
Marche pacifique des magistrats sans affectation (M24) dispersée par la police à Kinshasa
Une marche des magistrats recrutés à l’occasion du concours de 2022 a été dispersée par la police le lundi 16 septembre. En effet, les organisateurs de la manifestation avaient préalablement informé les autorités de la ville, d’après un document parvenu à notre rédaction.
Soulignons que ces collectifs de magistrats ont été brutalement dispersés par la police et que d’autres ont été conduits au camp Lufungula par arrestation arbitraire.
Il convient également de noter que M. Corneil, l’un des candidats magistrats, a été tabassé à l’agonie et conduit à l’hôpital général de Kinshasa pour avoir revendiqué son droit le plus légitime.
Pour rappel, ayant satisfait à un concours organisé en 2022, ces magistrats devraient être nommés par ordonnance présidentielle en avril 2024.
Ces futurs magistrats, appelés aussi M24, évoquent la notion de deux poids, deux mesures, car leurs anciens collègues, devenus aujourd’hui magistrats, n’ont rien fait de spécial pour arriver là où ils sont aujourd’hui. Pourtant, ils ont tous passé le même concours et réussi ensemble.
Ainsi, ces magistrats M24 demandent au président de la République, en sa qualité de magistrat suprême du pays, et au Conseil supérieur de la magistrature, de prendre leur dossier en main afin d’accélérer le processus de nomination.
Elyane Mukuna/Congoprofond.net
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