Société
ENA 2024 : 6 mois sans affectation, des agents alertent sur des injustices

Les agents recrutés et mécanisés en 2024 par la Fonction publique, à la suite du concours organisé en janvier par l’École nationale d’administration (ENA), au profit du Secrétariat général des Personnes vivant avec handicap et autres personnes vulnérables (PVH-APV), dénoncent des blocages entravant leur prise de fonction effective.
Selon plusieurs témoignages recueillis, certains de ces agents, identifiés comme « initiateurs des dénonciations et réclamations », attendent depuis six mois sans recevoir ni leur commission d’affectation ni leur lettre de notification. Une copie de leur lettre adressée au secrétaire général des PVH-APV nous est parvenue, dans laquelle ils demandent à être officiellement pris en charge.
Les agents concernés affirment avoir appris verbalement leur renvoi à la Fonction publique sans motif valable, selon une déclaration attribuée à leur autorité de tutelle. Ils accusent cette dernière d’avoir entamé une procédure disciplinaire jugée illégale, sans respect des droits des travailleurs, en violation des lois congolaises relatives à la protection du personnel de carrière des services publics.
Selon eux, cette démarche, qu’ils qualifient de politique, n’a pas sa place dans le fonctionnement de l’administration publique. Ils appellent à l’implication du Vice-Premier ministre en charge de la Fonction publique afin que sa décision — déjà signée — soit effectivement appliquée au sein de leur secrétariat général.
Ces agents, issus d’un processus de recrutement basé sur la méritocratie, aspirent à rejoindre leurs collègues afin de contribuer efficacement au fonctionnement de leur administration et de préserver la crédibilité de l’ENA.
Tchèques Bukasa/CONGOPROFOND.NET
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Valentin Yves Mudimbe s’en est allé, mais sa parole demeure : l’Afrique orpheline d’un géant de la pensée

Ce jour, la République Démocratique du Congo, l’Afrique et le monde intellectuel viennent de perdre un monument. Valentin Yves Mudimbe, philosophe, écrivain et penseur hors pair, s’est éteint aux États-Unis, laissant derrière lui une œuvre aussi dense que subversive, une parole aussi lucide qu’indomptable.
Né en 1941 à Jadotville (actuelle Likasi), en RDC, Valentin Yves Mudimbe fut l’un des intellectuels africains les plus influents du XXᵉ et du XXIᵉ siècle. Professeur émérite à l’Université Duke, anthropologue, linguiste et romancier, il a marqué les sciences humaines par sa critique radicale des épistémologies coloniales et sa déconstruction des discours dominants sur l’Afrique.
Son œuvre majeure, The Invention of Africa (1988), reste un texte fondateur des études postcoloniales. Mudimbe y démontre comment l’Afrique a été « inventée » par le regard occidental, à travers des catégories de savoir qui ont nié ses propres logiques de pensée. Pour lui, « l’Afrique n’existe pas en dehors des représentations qui la constituent », une thèse qui a révolutionné la manière d’appréhender le continent.
Yves Mudimbe n’était pas seulement un théoricien : c’était un penseur du soupçon, toujours en éveil face aux illusions des idéologies, qu’elles soient coloniales, nationalistes ou néolibérales. Dans L’Odeur du père (1982), il explore les contradictions des élites africaines post-indépendances, dénonçant leur aliénation mimétique. Son roman Entre les eaux (1973) questionne la tension entre engagement politique et spiritualité.
Il a révélé sa propre trajectoire de prêtre jésuite devenu philosophe laïc. Ses travaux sur Foucault, Derrida et les structuralistes européens en font un passeur exceptionnel entre les traditions intellectuelles africaines et occidentales. Pourtant, il refusait toute étiquette : « Je ne suis ni un afrocentriste, ni un occidentaliste. Je suis un penseur de la fracture, de l’entre-deux », disait-il.
Aujourd’hui, alors que l’Afrique est confrontée à de nouveaux défis – néocolonialismes économiques, crises démocratiques, guerres d’influence –, la pensée de Mudimbe reste d’une brûlante actualité. Son questionnement sur « les conditions de production du savoir africain » invite à repenser l’université, la recherche et les médias du continent. Il laisse derrière lui des disciples à travers le monde. Des chercheurs qui continuent de déconstruire les récits hégémoniques.
« Mudimbe nous a appris à douter, à interroger nos propres certitudes ». La RDC en deuil mais l’Afrique en héritage, conclut le polymathe, cet autre géant de la pensée post-coloniale. Le Congo pleure l’un de ses plus grands fils, mais son héritage est impérissable. Dans un pays souvent meurtri par l’amnésie historique, Yves Mudimbe rappelait que « la mémoire est un acte de résistance ».
Alors que les hommages affluent du monde entier – de Paris à Johannesburg, de Dakar à New York –, une certitude s’impose : Yves Mudimbe est mort, mais sa parole, elle, ne mourra jamais. « Les mots ne sont pas innocents. Ils portent en eux la violence de l’histoire. » — Valentin Yves Mudimbe
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR