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RDC : Tshisekedi, Kabila et Machiavel (Par Roger-Claude Liwanga, Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory)
Face aux dissensions au sein de la coalition Cach-FCC, le président congolais mène des consultations pour inverser le rapport de force en sa faveur. Mais il est difficile de savoir s’il y parviendra.
Moins de deux ans après son arrivée au pouvoir, voilà que Félix Tshisekedi est sur le point de rompre l’accord qui liait sa coalition, Cap pour le changement (Cach), et le Front commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur, Joseph Kabila, afin de créer une « union sacrée ».
De toute évidence, le chef de l’État cherche à rebattre les cartes pour prendre le dessus sur ses alliés du FCC et, observant les récentes séquences tactiques du président congolais, certains se demandent combien de fois il a pu lire et relire Le Prince de Machiavel.
Tensions acerbes
Arrivé au pouvoir en janvier 2019, Félix Tshisekedi avait formé une alliance avec un FCC alors majoritaire au Parlement. Dans ce gouvernement de coalition, dont le FCC contrôle deux tiers des portefeuilles, l’on dénombre de nombreuses tensions entre partenaires.
Lors de son discours à la nation à la fin du mois d’octobre, Tshisekedi en profita non seulement pour dénoncer de multiples blocages dans la coalition au pouvoir et au sein des institutions du pays, mais aussi pour proposer une thérapie consistant à créer une « union sacrée », et ce, après l’organisation de consultations politiques.
Comme l’on pouvait s’y attendre, l’ancien président Kabila a réagi en appelant sa plateforme FCC à la « résistance » face à Tshisekedi qui, selon lui, ne respecte pas l’accord signé début 2019.
Mais pourquoi Tshisekedi continuerait-il de respecter un accord alors que son exécution serait à son désavantage ? Quel bénéfice en retirait-t-il, particulièrement dans la perspective des élections de 2023 ?
Peut-être s’est-il souvenu des mots de Machiavel, ce penseur de la Renaissance italienne, qui déconseilla « au prince bien avisé d’accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus ».
Un accord sans raison d’être ?
Mais est-il vrai que les raisons justifiant l’exécution de l’accord entre le Cach et le FCC ont disparu ? À première vue, force est de constater que le contexte politique actuel en RDC est un peu différent de celui qui prévalait début 2019. Félix Tshisekedi, à l’époque novice et dépourvu de majorité parlementaire, était obligé de composer avec son prédécesseur s’il voulait tenir certains des engagements qu’il avait pris envers ses électeurs pendant la campagne.
Le FCC, quant à lui, ne se privait pas de brandir la menace d’une destitution du nouveau chef de l’État devant la Cour constitutionnelle, dont la majorité des juges lui était fidèle.
Tshisekedi plus fort
Mais aujourd’hui, Tshisekedi semble contrôler certains des leviers qui lui échappaient autrefois. D’abord, il vient de recomposer la Cour constitutionnelle en nommant des juges qui lui sont favorables, rendant ainsi improbable toute tentative de destitution.
Il s’est aussi fait des alliés au sein de l’armée et des services de sécurité : il a procédé à des remaniements, éjecté certains officiers réputés proches de Kabila ou limité leur influence.
Enfin, il existe désormais de véritables dissensions au sein du FCC et il ne serait pas surprenant que certains le quittent pour rejoindre la future « union sacrée » de Tshisekedi. Si cette transhumance se matérialisait, le rapport de force au sein du Parlement s’inverserait alors drastiquement.
Conscient du danger, le FCC multiplie ces derniers temps les réunions pour maintenir l’unité au sein de sa plateforme politique.
LA MESSE N’EST PAS ENCORE DITE
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Guerre du M23/Rwanda : Des milliers de personnes fuient les combats en direction de Goma et au-delà
Les violents affrontements autour de la localité de Sake, dans l’est de la RDC, qui opposent l’armée congolaise, appuyée par ses alliés locaux, et le M23, soutenu par le Rwanda, poussent des milliers d’habitants de la région à fuir les combats. Si la plupart vont chercher refuge à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu situé à seulement une vingtaine de kilomètres de là, d’autres préfèrent aller au-delà et franchir la frontière avec le Rwanda. Reportage.
À Goma, en RDC, l’angoisse est palpable sur la route principale qui relie les quartiers de Ndosho et de Katindo. Des colonnes de déplacés circulent à pied, à moto ou en bus en direction du chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Désespérées, Alice et Kanyere racontent leur calvaire. « Il y a de nombreuses détonations et des avions qui bombardent là d’où nous venons. Il y a aussi beaucoup de militaires sur la route. Tout le monde s’enfuit ! », confie la première. « Beaucoup de bombes explosent et les balles sifflent. Nous avons dû quitter les huttes de notre camp, témoigne la seconde, dépitée, avant de poursuivre : je n’ai pas de famille à Goma. Il faut que le gouvernement termine la guerre ! »
Âgé d’une trentaine d’années, Haguma Banga marche, lui, avec un matelas sur la tête. Après avoir fui Sake, il est toujours sans nouvelle de sa famille. « Je ne sais pas où sont ma femme et mes cinq enfants. Ce serait un miracle de les retrouver », se désole-t-il.
A l’hôpital CBCA Ndosho, le personnel soignant s’active pour recevoir les blessés qui affluent également en masse, comme Mariam Kashindi, 22 ans, qui a quitté Sake en urgence après avoir reçu un éclat d’obus dans le bras. « Nous avions commencé à fuir, nous étions devant le marché de Mubambiro quand ma fille a été touchée par une bombe dont les éclats m’ont atteint, raconte-t-elle avant de poursuivre : nous fuyons le M23. J’ai trois enfants. L’un a été blessé, quant à l’autre, je ne sais pas où il est ».
« Nous étions un groupe de femmes, plusieurs sont mortes sur le coup »
Un peu plus loin, Neema Jeannette pleure allongée sur un lit. Elle a été touchée par une explosion alors qu’elle se trouvait avec un groupe d’amies. « Une bombe est tombée sur nous. Nous étions un groupe de femmes, plusieurs sont mortes sur le coup. Moi, je suis la seule survivante. Je remercie le CICR de m’avoir prise en charge à l’hôpital », sanglote-t-elle.
Cheffe de la sous-délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Nord-Kivu, Miriam Favier explique que l’établissement a été contraint d’activer ses quatre blocs opératoires en raison de l’afflux de blessés. « Depuis ce matin, plus de 70 patients sont déjà arrivés et ce n’est pas fini. C’est assez inquiétant », déplore-t-elle.
Si, à Goma, les autorités militaires comme la société civile appellent au calme, des écoles et plusieurs boutiques ont toutefois fermé leurs portes, tout comme l’Institut français, qui a décidé de suspendre temporairement ses activités. Les billets de tous les spectacles annulés seront intégralement remboursés, explique la structure dans un communiqué.
« Même ici, on vient d’entendre un obus tomber »
Anticipant une nouvelle dégradation de la situation sécuritaire, certains habitants ont, quant à eux, décidé de prendre les devants et sont passés au Rwanda voisin, où ils ont trouvé refuge dans la ville frontalière de Rubavu pour la plupart. « Mon mari habite ici, il m’a dit de le rejoindre pour fuir la panique qui s’empare de la ville de Goma », déclare ainsi Amina, une valise à la main et accompagnée de ses deux enfants.
Innocent, lui, a trouvé une chambre dans un hôtel. « Il y avait foule au niveau de la douane, c’était plein à craquer, rapporte-t-il. Alors, quand on a des enfants en bas âge, on ne va pas attendre la dernière minute pour partir, car on ne sait pas vraiment ce qu’il va se passer, on n’est pas sur la ligne de front. Même ici, on vient d’entendre un obus tomber, alors imaginez : quand on est à Goma, c’est comme si l’explosion avait lieu dans la parcelle d’à côté. Voilà pourquoi on a décidé de partir » poursuit celui-ci.
Comme beaucoup d’autres habitants du chef-lieu du Nord-Kivu, Innocent prévoit de rester à Rubavu, le temps de voir comment évolue la situation, avec l’espoir de pouvoir rentrer chez lui le plus rapidement possible.
RFI
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