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Bienvenue dans le Mai-Ndombe ! (Récit de voyage de AMO)
Bendela est une célèbre bourgade située à une trentaine de kilomètres de la ville de Bandundu, sur la rive droite de la rivière Kasaï, que nous venons de traverser sur une pirogue motorisée, un des affluents les plus importants du majestueux fleuve Congo. C’est la porte d’entrée de la province du Mai-Ndombe née après le découpage du grand Bandundu en 2015.
Dans quelques mois, peut-être quelques semaines, les habitants de cette mission protestante pourront enfin goûter aux délices de l’électricité. Une ligne électrique est en construction au départ de la grande ville de Bandundu et n’attend que quelques travaux de finissage pour être opérationnelle.
Elle desservira la cité et l’hôpital construits depuis une cinquantaine d’années par des missionnaires protestants Suédois qui ont d’ailleurs financer la construction de la ligne électrique.
A part la mission et l’hôpital, un complexe immobilier couleur sable, attire l’attention des passants. C’est la résidence de l’Ingénieur Mutima, le Directeur Général de l’Office des Routes.
C’est cet office qui a reçu la charge de redonner un peu de vie à la route en terre battue qui dessert les deux provinces.
Si du côté du Bandundu, les travaux ont déjà commencé, entrainant une boue glissante en cas de pluie, ou alors une poussière suffocante lorsque le sol sablonneux est tout sec, sur la rive droite les travaux n’ont pas encore été lancés, du moins dans les environs de Bendela. Le parcours mérite d’être vécu.
Tout juste à quelques kilomètres de cette cité, des flaques d’eau stagnantes jonchent la route, ou ce qui en reste. On croirait à de petits lacs aux eaux fétides.
Mandefu me demande de descendre de la moto et de passer par la brousse pour ne pas me salir. J’obéis et constate qu’il a les eaux boueuses jusqu’au milieu de la jambe. Je remonte. On avance. Pas pour longtemps car la même scène nous attend à quelques centaines de mètres de là. Il me redemande de descendre, je résiste. Il fonce. Le résultat est le même.
D’un air enjoué, je contemple mes baskets tout englués de boue noirâtre, comme un enfant qui se rend juste compte qu’il a sali son singlet en prenant son thé. Accident de parcours. Mandefu sourit. Vrooum!
Un motard, héros de la journée !
« Mandefu… Mandefuuu » ! En réponse à cette clameur publique qui monte tout le long de notre parcours, le conducteur de la moto DTO qui m’amène de Bandundu à Nioki, 80 Km plus au nord, le concerné, use et abuse de son strident klaxon à réveiller des paisibles bébés dans leur sommeil. Plus il klaxonne, plus la clameur monte. C’est en effet lui le héros de cette journée de dimanche.
Grand de taille, air innocent, ce jeune homme, la trentaine, est un fervent adepte de Fidel Castro dont il garde la barbe. D’où son nom de scène, Mandefu (le barbu).
Fils d’un officier de la police nationale congolaise à Bandundu-ville où il habite, il a appris dès la tendre enfance à respecter les gens qui le fréquentent. On le ressent tout de suite lorsqu’il vous aborde. C’est pour cela peut-être que j’ai choisi de le prendre pour conducteur et guide. Mais pas que.
Aussitôt arrivé au parking des motos à destination de Isaka, la bourgade voisine de Nioki sur la rivière Lukenie, il se met en retrait tandis que la meute des intermédiaires appelés ici « chargeurs » vient me se disputer. Mais Mandefu est très connu et arrache ma sympathie. Je choisis donc de monter sur sa DTO, une vieille carcasse qui semble avoir subi l’usure du temps. Pourtant elle se comporte à merveille sur la route cahoteuse de Isaka où nids de poule et boue gluante se disputent la vedette.
Plusieurs fois, nous avons failli nous retrouver en brousse à cause de cette boue qui fait souvent chavirer (expression empruntée à la navigation) notre moto amphibie.
Des minutes qui s’égrainent
A cause de l’état de la route, il nous faut 4 heures pour traverser les 72 Km qui séparent Bandundu-Ville à Isaka. Et Mandefu fait parfois des pics de vitesse inimaginables pour le citadin que je suis devenu. Au début, j’ai peur. Je m’accroche frénétiquement au porte-bagage sur lequel est posée ma valise. Le conducteur sent ma frayeur et se doit de m’expliquer qu’en fait il nous faut récupérer un peu de temps sur les tronçons en mauvais état, plus nombreux que les morceaux de chemin plus ou moins fréquentables. Le trac des dix premiers kilomètres passés, je m’habitue.
En fait, je commence à aimer les accélérations de Mandefu. J’adore !
Yeux larmoyants, je le contemple maniant sa bécane motorisée. Je l’envie. N’en déplaise à ma conscience qui me reproche de prendre de « gros risques ». Ma foi, lui répondis-je, c’est largement rien en face des vieux coucous qui sillonnent le ciel de la RDC et qu’ai souvent pris non sans peur. Ici, sur la route, on s’amuse plutôt.
Et le temps passe. Il passe tellement vite qu’au bout d’une heure trente, nous atteignons Mundiayi, le dernier village du Bandundu sur la rive gauche du Kasaï que nous traversons en une dizaine de minutes sur une pirogue motorisée.
Puis, de Bendela à Issaka, une bonne quarantaine de kilomètres que nous parcourons en deux heures et quart. Pas le temps de manger ni de boire en chemin. On se presse. Le ciel pourrait s’obscurcir à tout moment et une pluie viendrait remettre tout en cause. Fort heureusement, elle ne sera pas au rendez-vous. Isaka. Enfin…que non. Il faudrait encore traverser la grande rivière Lukenie sur les 8 Km qui séparent Isaka de Nioki, ma destination finale. Le voyage dure près de 30 minutes, la peur au ventre. Surtout au lendemain du naufrage d’un boot people sur le lac Mai-Ndombe, à une centaine de kilomètres, entrainant plus de deux cents morts et disparus.
AMO
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“Les rébellions rwandaises au Kivu ( 1996-2024)” de Nicaise Kibel’Bel : Mettre fin à l’instrumentalisation de Kigali et batir, enfin, un système de défense digne d’un Congo convoité
Question : Monsieur Nicaise, votre dernier ouvrage dérange par son titre « Les rébellions rwandaises au Kivu ». Pourquoi avoir choisi ce titre ?
Nicaise Kibel’Bel Oka : Un titre n’est jamais choisi au hasard. Son choix répond au contenu et aux réalités du livre. Effectivement, le livre décrit toutes ces rébellions rwandaises depuis 1996 qui ont trouvé un terrain d’expérimentation sur le sol congolais. Pour l’illustrer par un exemple. A chaque fois qu’il y a dialogue entre le gouvernement et les « rebelles » congolais, avez-vous déjà vu les rebelles remettre armes et équipements militaires ? Ils ne peuvent pas le faire parce que ces armes ne sont pas les leurs. Et pire, ce ne sont pas les Congolais qui les manient au front.
Q. : Comment expliquez-vous alors cette stratégie du régime Kagame d’instrumentaliser des Congolais ?
N.K.O. : C’est une stratégie simple qui fonde toute la philosophie du pouvoir au Rwanda. Elle consiste à créer des zones de tensions et à les maintenir indéfiniment. Il y a des personnes, des médias et institutions payées pour alimenter ces conflits. Ces tensions sont à la base de la guerre hybride dans la région. En réalité, Kigali n’a que faire des « rebelles » congolais pour qui il n’a aucune considération. Depuis Laurent-Désiré Kabila jusqu’à Corneille Nangaa, ils sont vilipendés et jamais leurs noms ne sont cités au Rwanda.
Q. : Les rébellions rwandaises au Kivu. Comment comprendre que derrière elles, ce sont des revendications des populations d’expression kinyarwanda qui sont mises en avant ?
N.K.O. : Il faut apporter un bémol. Paul Kagame ne défend pas les populations d’expression kinyarwanda comme il a voulu longtemps le faire croire. Il défend selon lui les populations martyrisées Hamites en RDC. C’est toute la différence idéologique. Et tant qu’on ne comprendra pas cette distinction, on naviguera à vue dans la déstabilisation de la région.
Q. : Pouvez-vous être plus explicite dans ce que vous avancez ?
N.K.O. : Au Rwanda comme au Burundi, il y a trois ethnies (Hutu, Tutsi et Twa). Les Hutu et les Tutsi parlent tous le kinyarwanda mais ne sont pas des Hamites. Défendre les populations d’expression kinyarwanda signifierait défendre les Tutsi et les Hutu. Or, Kagame voue une haine viscérale contre les Hutu qu’il qualifie à tous les niveaux des « génocidaires ». Et donc, à défaut de les défendre et de les protéger, il doit les combattre, les neutraliser. C’est ce qu’il demande au gouvernement congolais. Comment la RDC perçoit la notion du génocide ? Est-ce que tous les Hutu même ceux qui sont Congolais sont des génocidaires ? Les populations Hamites du Congo subissent-elles de réprimandes ?
Q. : Selon vous, comment mettre fin alors à toutes ces rébellions rwandaises au Kivu ?
N.K.O. : Tout d’abord il faut établir une nette différence entre le Rwanda et la RDC. Cet exercice pédagogique poursuit deux finalités. Primo, faire comprendre aux populations Hamites du Congo que ce n’est pas Kigali qui va résoudre leurs problèmes. On ne peut pas indéfiniment vivre en seigneur de guerre au bénéfice d’un autre État contre son pays. Secundo, le pouvoir au Rwanda a été construit sur la violence, sur les oppositions entre Hutu et Tutsi. Ce qui n’est pas le cas pour la RDC. Il faut d’abord aider le Rwanda à trouver des solutions aux problèmes de la cohabitation entre Hutu et Tutsi. Il n’y a que le dialogue et la réconciliation comme thérapie à des tensions ethniques.
Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste d’investigation et auteur du livre, en méditation. Archives Les Coulisses).
Q. : Apparemment vous êtes le seul à faire ce diagnostic. N’est-ce pas que vous rêvez ?
N.K.O. : C’est le vrai diagnostic pour une paix dans la région. Et je ne suis pas le seul. De nombreux rwandais (Hutu comme Tutsi) sont convaincus qu’il faille un dialogue pour une réconciliation au Rwanda. Ceci, pour éviter le cycle infernal de tensions et de guerre. Aucune ethnie ne prendra indéfiniment le dessus sur l’autre.
L’ex-président Hutu du Rwanda, Pasteur Bizimungu, prédécesseur de Paul Kagame, a exprimé ce regret devant le Parlement avant d’être démis.
Q. : « Toutes les composantes au niveau national ne se sentent pas représentées dans l’autorité du Rwanda ».
Et d’ajouter à notre micro en 2001 : « Ce qui a déchiré le Rwanda, c’est plus particulièrement l’exclusion de certaines sections de la population. Pendant 150 années, se sont succédé des luttes de pouvoir entre les élites tutsi et hutu. Chaque fois que l’une arrivait au pouvoir, elle monopolisait à son profit excluant d’autres tout en violant les droits fondamentaux. Le FPR a suivi malheureusement le sentier bâti.
De par l’histoire de notre pays, il est démontré que les gens qui se sont emparés du pouvoir par la force militaire n’ont jamais réussi quelle que soit la durée au pouvoir. Toute exclusion mène forcément à la force ».
Au Rwanda, comme l’écrit Gaël Faye dans son livre « Jacaranda » : « La paix n’est qu’une guerre suspendue ». Le cycle de violence au Rwanda n’est que momentanément suspendu.
Q. : Votre livre parle de l’impunité dont jouit le régime de Kigali. Pourquoi les deux poids, deux mesures ? Pensez-vous que l’Occident ne comprend pas le drame de la région ?
N.K.O. : Les Occidentaux jouent au sapeur-pompier pour maintenir les tensions qui garantissent leurs intérêts. En choisissant le « Bon » et le « Mauvais » au Rwanda, ils ont tout fait pour que le FPR ne puisse jamais répondre de ses actes devant la justice internationale. Ce qui lui donne la force de narguer les autres. La logique des Occidentaux ne résiste pas à la logique normale. Prenez le cas de l’Ukraine. Ils livrent des armes à l’Ukraine mais lui interdisent de frapper des cibles russes. C’est exactement un embargo qui ne dit pas son nom. C’est le même cas avec la RDC. On nous impose de négocier avec le Rwanda qui occupe des pans entiers de notre territoire. Qui arme le Rwanda ?
Notre livre essaie de passer au peigne fin cette mésaventure tout en épinglant aussi les faiblesses dans notre système de défense qui est resté dans le ghetto et aujourd’hui incapable de faire face aux menaces actuels et à venir. Ce livre baigne dans la couleur locale. Mon livre est un appel à la prise de conscience contre l’instrumentalisation rwandaise et à la mise en place d’un système de défense digne du Congo. Rome a été hospitalière tout en étant expansionniste.
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A bâtons rompus avec Nicaise Kibel’Bel Oka
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