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Tribune : Vol de nuit ( Par Dr Tonduangu Kuezina Daniel)

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En 1979, je suis accepté à l’internat du Collège Boboto ex collège Albert, dans la commune de la Gombe (ex Kalina), en vue de préparer dans de bonnes conditions les examens d’Etat (moi je suis finaliste en scientifique section bio-chimie du collège Elikya Saint Joseph).

En effet, mes parents n’ont pas voulu que je puisse aller dans un « maquis », c’est comme cela qu’on appelait des organisations de fortune qui regroupaient des élèves finalistes quelques semaines avant les examens d’Etat pour qu’ils puissent préparer collectivement des examens. C’est la première fois que je quittais le domicile familial pour une longue période. Mon intégration est facilitée par Jérôme Bitumba, avec qui nous avons des amis communs qui étaient avec lui à l’école primaire et au cycle d’orientation à Barumbu (Julien Tshangu, Gabriel Mukunda…). Je vais retrouver beaucoup de collègues d’internat à la Faculté de médecine de l’Université de Kinshasa, je pourrais citer quelques-uns, Aimé Mundabi, Paul Bula Bula et bien sûr Jérôme Bitumba, mon jumeau et éternel voisin au campus.

Au collège Boboto j’avais le privilège de bénéficier des installations adaptées, de la proximité des camarades du collège Boboto bien préparés et surtout de la rigueur et la discipline qui régnaient dans ces installations.

Cette rigueur et cette discipline étaient représentées et symbolisées par un illustre personnage, monsieur Tambu Zezo Simon Pierre surnommé « Kelly ». Ce monsieur avec un visage de marbre et une démarche mécanique, incarnait la rigueur, la discipline et le respect du règlement intérieur de l’internat et du collège.

Chaque jour à 22 heures, nos installations étaient soumises à une coupure d’électricité pour nous obliger à aller au lit…
Mais les élèves n’ont jamais voulu obtempérer…
Tous les soirs, après que les feux soient éteints…on laissait passer quelques minutes pour s’assurer que monsieur Kelly est bien parti, après sa dernière ronde nocturne…

C’est à ce moment que les lumières de fortune prenaient place (bougies, lampes tempêtes…), les élèves posaient des couvertures noires sur les vitres en carreaux des portes des chambres et mettaient des couvertures sur les bas des portes pour empêcher que la lumière ne soit perçue de l’extérieur… les élèves pouvaient enfin affronter l’interdit afin de prolonger les lectures, la résolution des problèmes et exercices de mathématiques mais aussi des conversations entre potes…
Cette pratique était appelée « vol de nuit », appellation tirée de l’œuvre monumentale de l’écrivain pilote Antoine de Saint Exupéry.

J’ai pratiqué également le « vol de nuit », je le mettais à profit pour affûter mes armes en mathématique et j’ai eu l’opportunité d’avoir comme voisin, mon complice de vol de nuit, mon regretté ami Langasso Patrice, de la section scientifique option math Physique du collège Boboto. Un élève brillantissime qui manipulait les mathématiques avec une facilité déconcertante. La proximité de Patrice et la complicité de travail que nous avons établies m’ont permis de réaliser des progrès énormes en mathématique et physique.
Sacré Patrice… je lui ai donné le surnom de « Langston », en référence à une grande figure de la littérature négro-africaine « Langston Hugues » …

Nous avons continué à nous fréquenter pendant nos années de l’Université. A partir de 1980, Patrice a obtenu une bourse pour étudier à l‘école polytechnique de Thiès au Sénégal, moi je fréquentais la Faculté de médecine de l’Université de Kinshasa. Nos échanges étaient soit épistolaires, soit présentiels quand ils revenaient à Kinshasa pendant les vacances.

Nos conversations tournaient beaucoup sur l’avenir du pays, j’ai retenu de lui une nature très optimiste, comme pour paraphraser le général De Gaulle, il me disait toujours : « Seguin il ne faut pas désespérer …l’évolution socio-économique et politique de chaque pays obéit à une fonction sinusoïdale, il y a toujours le haut puis le bas. Et si on touche le fond, on finit toujours par remonter à la surface…… » et moi pour l’embêter je renchérissais en disant : « à moins qu’on ne soit aspiré par des tuyaux d’évacuation qui mènent vers des profondeurs abyssales… »

A son retour au pays, Patrice va travailler comme ingénieur pour la Gecamines, moi je pars du pays en octobre 1993 pour ma formation en cardiologie en Allemagne, les difficultés de communication de l’époque ne nous ont pas permis de rester en contact.
Mon ami Langston nous a quitté en 1995. Je ne l’apprendrais que quelques années plus tard après avoir demandé de ses nouvelles à mon frère et ami John Nsiala au cours d’une conversation courante.

C’est curieux j’ai beaucoup pensé à patrice lors des manifestations en hommage à notre héros national Patrice Emery Lumumba le mois de juin dernier. Je vous dirai un jour pourquoi !
Pensées pieuses pour lui.

Rosoy, le 29 juillet 2022
TONDUANGU Kuezina Daniel

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Valentin Yves Mudimbe s’en est allé, mais sa parole demeure : l’Afrique orpheline d’un géant de la pensée

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Ce jour, la République Démocratique du Congo, l’Afrique et le monde intellectuel viennent de perdre un monument. Valentin Yves Mudimbe, philosophe, écrivain et penseur hors pair, s’est éteint aux États-Unis, laissant derrière lui une œuvre aussi dense que subversive, une parole aussi lucide qu’indomptable.

Né en 1941 à Jadotville (actuelle Likasi), en RDC, Valentin Yves Mudimbe fut l’un des intellectuels africains les plus influents du XXᵉ et du XXIᵉ siècle. Professeur émérite à l’Université Duke, anthropologue, linguiste et romancier, il a marqué les sciences humaines par sa critique radicale des épistémologies coloniales et sa déconstruction des discours dominants sur l’Afrique.

Son œuvre majeure, The Invention of Africa (1988), reste un texte fondateur des études postcoloniales. Mudimbe y démontre comment l’Afrique a été « inventée » par le regard occidental, à travers des catégories de savoir qui ont nié ses propres logiques de pensée. Pour lui, « l’Afrique n’existe pas en dehors des représentations qui la constituent », une thèse qui a révolutionné la manière d’appréhender le continent.

Yves Mudimbe n’était pas seulement un théoricien : c’était un penseur du soupçon, toujours en éveil face aux illusions des idéologies, qu’elles soient coloniales, nationalistes ou néolibérales. Dans L’Odeur du père (1982), il explore les contradictions des élites africaines post-indépendances, dénonçant leur aliénation mimétique. Son roman Entre les eaux (1973) questionne la tension entre engagement politique et spiritualité.

Il a révélé sa propre trajectoire de prêtre jésuite devenu philosophe laïc. Ses travaux sur Foucault, Derrida et les structuralistes européens en font un passeur exceptionnel entre les traditions intellectuelles africaines et occidentales. Pourtant, il refusait toute étiquette : « Je ne suis ni un afrocentriste, ni un occidentaliste. Je suis un penseur de la fracture, de l’entre-deux », disait-il.

Aujourd’hui, alors que l’Afrique est confrontée à de nouveaux défis – néocolonialismes économiques, crises démocratiques, guerres d’influence –, la pensée de Mudimbe reste d’une brûlante actualité. Son questionnement sur « les conditions de production du savoir africain » invite à repenser l’université, la recherche et les médias du continent. Il laisse derrière lui des disciples à travers le monde. Des chercheurs qui continuent de déconstruire les récits hégémoniques.

« Mudimbe nous a appris à douter, à interroger nos propres certitudes ». La RDC en deuil mais l’Afrique en héritage, conclut le polymathe, cet autre géant de la pensée post-coloniale. Le Congo pleure l’un de ses plus grands fils, mais son héritage est impérissable. Dans un pays souvent meurtri par l’amnésie historique, Yves Mudimbe rappelait que « la mémoire est un acte de résistance ».

Alors que les hommages affluent du monde entier – de Paris à Johannesburg, de Dakar à New York –, une certitude s’impose : Yves Mudimbe est mort, mais sa parole, elle, ne mourra jamais. « Les mots ne sont pas innocents. Ils portent en eux la violence de l’histoire. » — Valentin Yves Mudimbe

TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR

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