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Tribune : le Président de la République doit-il nommer un informateur ? ( Par Me Hervé Bia)

Je me permet de commencer par mes conclusions. A la question : le Président de la République est-il constitutionnellement tenu, dans les conditions actuelles, de nommer un informateur ? Ma réponse est non. A la question : le Président de la République peut-il, s’il le souhaite, dans les conditions actuelles nommé un informateur ? ma réponse est oui.
« Le Président de la République nomme le premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Si une telle majorité parlementaire n’existe pas, le Président de la république confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition » (article 78 de la constitution).
Le mot le plus important dans cet article n’est pas « informateur », ni d’ailleurs « président » mais plutôt « majorité ».
Qu’est-ce une majorité parlementaire ? il n’existe pas à proprement parler de définition constitutionnelle de la « majorité parlementaire ». Je déduis, cependant, de l’article 90 de la Constitution que la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale qui approuve le programme gouvernemental et ensuite investit le Premier Ministre est la manifestation la plus concrète et inaugurale de cette majorité.
En effet, juridiquement l’investiture du Premier ministre est le seul moment formel durant lequel le parlement se prononce
sur le choix présidentiel du Premier ministre et de son gouvernement.
La majorité parlementaire est donc une question arithmétique de fait qui se constate « légalement » au moment de l’investiture.
Il s’avère donc que l’exercice présidentielle consiste à découvrir cette majorité « factuellement » de façon que le Chef de l’Etat ne subisse pas a posteriori le camouflet d’un refus d’investiture de la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale.
Je conclus donc que la majorité parlementaire est la majorité absolue des députés s’engageant à soutenir le Premier ministre et le gouvernement issu de la désignation par le Président de la république.
De façon plus pratique, il s’agit pour le Président d’identifier parmi les groupes politiques (partis politiques et plateformes politiques) ayant pris part aux élections, lequel possède la majorité absolue des députés à l’Assemblée nationale. Dans le cas
d’espèce, aucun groupe politique ayant participé aux élections ne comptent un tel nombre de députés.
Cependant aucune disposition légale n’empêche qu’un groupe politique n’ayant formellement pas pris part aux élections ne revendique posséder cette majorité, pour autant que cette majorité puisse être constatée « factuellement ». Il n’est requis par aucun texte que ce groupe soit préalablement reconnu par le ministère de l’Intérieur (cette reconnaissance n’étant requise que pour la présentation d’une liste aux élections), la question de personnalité juridique imprudemment invoquée ici et là n’étant absolument pas pertinente relativement au sujet.

Me Hervé Bia, analyste indépendant
En l’espèce actuelle, il apparaît bien qu’un groupe politique revendique un accord politique, document signé par des groupes politiques possédant des députés à l’Assemblée à l’étaie de leur prétention, détenir une telle majorité. Cette revendication provenant d’une ferme ex présidentielle est pour moi un élément factuel permettant au Président de la république, de s’assurer de l’existence d’une majorité parlementaire à consulter pour le choix d’un Premier Ministre de façon à ce que celui-ci soit « majoritairement » investi par les députés.
D’ailleurs même en cas de désignation d’un informateur, il ne fera pas autre chose que constater cette majorité factuelle, sans égard à la reconnaissance ministérielle du groupe qui s’en revendiquerait ni regard pour une fameuse personnalité juridique manquante.
Cependant, le Président est la seule autorité susceptible de juger de l’existence effective de cette majorité. Il peut donc considérer qu’aucun fait avéré ou indiscutable de la cristallisation suffisante d’une telle majorité (avec les garanties de stabilité) ne lui est parvenu à l’oreille (ou devant les yeux) et ainsi usé « discrétionnairement » de son pouvoir de nommer un informateur.
Un tel scénario dans la situation politique actuelle relèverait d’une certaine « mauvaise foi ». Mais politiquement ce serait de bonne guerre pour tenter de se constituer une majorité par son propre effort et refuser le diktat « fermier » en comptant sur une déliquescence de la majorité alléguée ou simplement une reconstitution de la même majorité mais sous son propre sceptre, contournant ainsi le renouvellement de loyauté exprimée à NSELE pour l’ancien Chef de l’Etat.
Le « politiquement » n’étant pas dans mon rayon de compétence, cet aspect de mon avis ne vaut que ce qu’il vaut c’est-à-dire pas grand-chose.
BIA BUETUSIWA, avocat et écrivain.
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Valentin Yves Mudimbe s’en est allé, mais sa parole demeure : l’Afrique orpheline d’un géant de la pensée

Ce jour, la République Démocratique du Congo, l’Afrique et le monde intellectuel viennent de perdre un monument. Valentin Yves Mudimbe, philosophe, écrivain et penseur hors pair, s’est éteint aux États-Unis, laissant derrière lui une œuvre aussi dense que subversive, une parole aussi lucide qu’indomptable.
Né en 1941 à Jadotville (actuelle Likasi), en RDC, Valentin Yves Mudimbe fut l’un des intellectuels africains les plus influents du XXᵉ et du XXIᵉ siècle. Professeur émérite à l’Université Duke, anthropologue, linguiste et romancier, il a marqué les sciences humaines par sa critique radicale des épistémologies coloniales et sa déconstruction des discours dominants sur l’Afrique.
Son œuvre majeure, The Invention of Africa (1988), reste un texte fondateur des études postcoloniales. Mudimbe y démontre comment l’Afrique a été « inventée » par le regard occidental, à travers des catégories de savoir qui ont nié ses propres logiques de pensée. Pour lui, « l’Afrique n’existe pas en dehors des représentations qui la constituent », une thèse qui a révolutionné la manière d’appréhender le continent.
Yves Mudimbe n’était pas seulement un théoricien : c’était un penseur du soupçon, toujours en éveil face aux illusions des idéologies, qu’elles soient coloniales, nationalistes ou néolibérales. Dans L’Odeur du père (1982), il explore les contradictions des élites africaines post-indépendances, dénonçant leur aliénation mimétique. Son roman Entre les eaux (1973) questionne la tension entre engagement politique et spiritualité.
Il a révélé sa propre trajectoire de prêtre jésuite devenu philosophe laïc. Ses travaux sur Foucault, Derrida et les structuralistes européens en font un passeur exceptionnel entre les traditions intellectuelles africaines et occidentales. Pourtant, il refusait toute étiquette : « Je ne suis ni un afrocentriste, ni un occidentaliste. Je suis un penseur de la fracture, de l’entre-deux », disait-il.
Aujourd’hui, alors que l’Afrique est confrontée à de nouveaux défis – néocolonialismes économiques, crises démocratiques, guerres d’influence –, la pensée de Mudimbe reste d’une brûlante actualité. Son questionnement sur « les conditions de production du savoir africain » invite à repenser l’université, la recherche et les médias du continent. Il laisse derrière lui des disciples à travers le monde. Des chercheurs qui continuent de déconstruire les récits hégémoniques.
« Mudimbe nous a appris à douter, à interroger nos propres certitudes ». La RDC en deuil mais l’Afrique en héritage, conclut le polymathe, cet autre géant de la pensée post-coloniale. Le Congo pleure l’un de ses plus grands fils, mais son héritage est impérissable. Dans un pays souvent meurtri par l’amnésie historique, Yves Mudimbe rappelait que « la mémoire est un acte de résistance ».
Alors que les hommages affluent du monde entier – de Paris à Johannesburg, de Dakar à New York –, une certitude s’impose : Yves Mudimbe est mort, mais sa parole, elle, ne mourra jamais. « Les mots ne sont pas innocents. Ils portent en eux la violence de l’histoire. » — Valentin Yves Mudimbe
TEDDY MFITU
Polymathe, chercheur et écrivain / Consultant senior cabinet CICPAR
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