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Les grands défis qui attendent l’Agence Congolaise Anticorruption( Interview exclusive avec Laurent MUTAMBAYI, président de l’Association Congolaise des Juristes d’Entreprise)

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Me Laurent MUTAMBAYI au sujet des grands défis qui attendent l’Agence Congolaise Anticorruption.
Le Journal Congoprofond (CP) s’est entretenu avec Mr Laurent Mutambayi wa Ntumba Katshinga (LM) en sa qualité de président de l’Association Congolaise des Juristes d’Entreprise, au sujet de la récente création de l’Agence de Prévention et de Lutte contre la Corruption (APLC) par ordonnance présidentielle de Monsieur Félix Antoine Tshisekedi (PR).

Congoprofond : De manière générale que pourriez-vous dire sur la Corruption et ses méfaits ?

Laurent Mutambayi (LM): Vous m’interrogez ce jour en ma qualité d’initiateur de l’association des juristes d’entreprise du Congo. Je ne peux entamer cet entretien sans rendre un vibrant hommage à un illustre fils du pays qui vient de nous quitter. J’ai cité le Bâtonnier Jean-Joseph Mukendi wa Mulumba. En effet lui et le Professeur Dieudonné Kaluba Dibwa, ont bien voulu gracieusement contribué à porter cette association sur les fonts baptismaux. Que cet illustre combattant de la démocratie, la liberté et du droit puisse trouver dans ces quelques lignes toute notre reconnaissance ainsi que tous les autres contributeurs.

Pour revenir à votre question, la corruption est un phénomène qui touche tous les pays. Aucun État n’y échappe, quel que soit son niveau de développement. On lit souvent dans la presse des affaires de corruption qui éclaboussent des institutions publiques ou privées et parfois aussi des particuliers. Ses formes et son ampleur peuvent varier d’un pays à un autre. Il n’en demeure pas moins vrai que c’est toujours la société qui en supporte la facture. La corruption compromet le développement humain et pèse lourdement sur les progrès d’un pays. En détournant les ressources publiques à des fins personnelles, on sacrifie les intérêts de base de son pays. C’est en cela que la corruption représente une menace au développement économique et à la stabilité sociale. La corruption ne doit surtout pas être perçue comme une fatalité. On devrait tous s’investir dans la promotion d’une culture de la transparence, de l’intégrité, de la recevabilité et de la responsabilité. C’est la meilleure manière de faire reculer la corruption qui préjudicie et appauvrit gravement des pays aussi pauvres que la RDC. Il s’observe à la suite de la pratique de la corruption que la pauvreté des pays en développement et la richesse exponentielle des élites financières, politiques ou étatiques desdits pays apparaissent comme deux vases communicants au point que la hausse de l’une correspond à la baisse de l’autre et vice versa. Cette corrélation est bien malheureuse.

CP : Quels sont à vos yeux les conséquences directes de la corruption ?

LM : Je viens de le souligner dans la précédente question. La corruption entrave l’éradication de la pauvreté et compromet le développement humain en réduisant l’accès aux services et en détournant les ressources devant être investies dans l’infrastructure, le logement, la santé, l’éducation et les services sociaux avec entre autres comme conséquence l’immigration clandestine. Cette immigration clandestine que nous payons au prix fort par des noyades de nos filles et fils. La méditerranée a coûté la vie à au moins 19 164 migrants depuis 2014. A ce sujet, il est faux de croire que les congolais ne figurent pas dans ces statistiques macabres.
Un autre fait illustratif des conséquences de la corruption est la suspension en 2012 par le FMI de son dernier programme avec la RD Congo en raison de problèmes de corruption.

Laurent Mutambayi

CP : Pour revenir au cas du Congo, comment percevez-vous la corruption en RDC de votre regard de fils de la diaspora congolaise ayant vu le jour au pays que vous avez quitté à un certain âge pour poursuivre votre parcours en dehors de la RDC ?

Permettez-moi, d’entrée de jeu, par souci de clarté, de dresser d’abord le tableau de la RDC en matière de corruption. Je me baserai, pour ce faire, sur le dernier rapport de Transparency international. Il s’agit là du plus récent classement de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de 180 pays et territoires sur base duquel, la RDC fait partie du top 15 des pays les plus corrompus au monde, le deuxième pays le plus corrompu de l’Afrique centrale, après la Guinée équatoriale. Au niveau de la SADC, le Congo est également le pays le plus corrompu. De 2018 à 2019 la RDC est passée de la 161ème place à la 168ème place soit un recul de 7 places en l’espace d’une année C’est là un tableau à ne pas faire pâlir d’envie.

Mr LUZOLO Bambi, ancien collaborateur de Mr Joseph Kabila, en charge de la lutte contre la corruption, déclarait déjà en 2018 que le Congo perdait chaque année au moins 15 milliards de dollars du fait de la corruption et des détournements des fonds publics. Ce dernier avait identifié et documenté plusieurs dossiers de corruption qui, à ma connaissance, n’ont jamais abouti à une action de la justice. Sans vouloir entrer dans ce débat, il est évident que l’environnement politique d’avant janvier 2019 n’était pas propice à la détection et poursuite des faits de corruption.

Permettez-moi également de préciser dans le cas de la RDC que le financement du projet de la gratuité de l’enseignement porté par le Chef de l’Etat et plus récemment encore le financement de la riposte contre le COVID-19 et de manière générale la mobilisation des recettes publiques soulèvent des vifs débats quant à la capacité de l’état congolais à s’autofinancer. Pourtant une lutte efficace contre la corruption et contre les différents canaux et mécanismes d’évaporation des fonds publics pourrait déjà constituer une bouée de sauvetage.

En effet, environ 4 milliards USD se volatilisent annuellement au niveau des régies financières, suite aux différentes exonérations dont le fondement légal pose question. Ce qui fait une perte totale avoisinant les 20 milliards USD par an. A juste titre d’ailleurs que déclarait le président Félix Tshisekedi à l’occasion d’un périple à Brazzaville qu’environ 20 milliards de dollars échappait au trésor public à cause de la corruption. Le Congo doit combatte la corruption pour trouver les moyens de financer ses politiques notamment celle de l’éducation. Aide-toi et le Ciel t’aidera, disait Jean de la Fontaine.

CP : Comment voyez-vous l’évolution de cette Agence anticorruption dans l’univers juridique congolais ?

LM : Sur le plan national, le code pénal et d’autres lois (spéciales) érigent la corruption en infraction et prévoient tout un régime de sanction. Cependant, l’absence de volonté politique était telle qu’il n’y avait pas d’impulsion au niveau des plus hautes autorités « politiques » du pays. Comparé au monde anglo-saxon il y a encore du chemin à faire.

Sur le plan international, les Etats unis ont, en effet, pris les rênes de la lutte anticorruption en main, avec une forte propension suivre à la loupe les activités des sociétés étrangères. La « première puissance du monde est tellement pointilleuse qu’elle sert de locomotive en la matière. Par ailleurs, la législation américaine « Foreign Corrupt Practices Act » sert aujourd’hui de schéma de référence. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls dans le cockpit de la lutte contre la corruption. Cette lutte contre la corruption constitue également un enjeu majeur pour le Royaume-Uni qui compte aussi son Agence anticorruption dénommée « Serious Fraud Office ». Il est important de rappeler à nos lecteurs que cette Agence britannique a joué un rôle clé dans le règlement des scandales Alstom et Airbus sur base des dispositions du Bribery Act de 2010.

En un mot, cette Agence anticorruption congolaise peut merveilleusement opérer la synthèse entre l’ordre juridique interne et international. Cela est d’autant plus vrai que la corruption est aujourd’hui un phénomène qui transcende les frontières nationales.

Congo Profond (CP) : Vous avez été, par le passé, Senior Client Manager and Head of Compliance d’une succursale belge d’une importante société holding de droit Suédois. A ce titre, que pouvez-vous dire face à la création en RDC d’une Agence anticorruption ?

LM: Il faut noter que la création de cette Agence répond, avant tout, à une énorme attente de lutte contre une corruption qui saigne encore gravement le trésor public et met à mal le développement du pays. Je me permets encore de rappeler que la collaboration avec le FMI avait été suspendue en 2012 à cause de la corruption.

D’aucuns ont jugé le projet de budget du gouvernement Ilunga Ilunkamba, arrêté à 10,2 milliards de dollars en recettes et en dépenses – contre 5,5 milliards pour l’exercice précédent, historiquement haut avec un taux d’accroissement de 63,2 % par rapport à 2019. Les institutions de Breton Woods ont même qualifié ce budget de volontariste car doutant de la capacité de mobilisation du Congo. Rappelez-vous que Mr Philippe Égoume, représentant du FMI à Kinshasa déclarait à l’époque : « C’est très rare qu’un pays soit capable d’augmenter ses revenus de 50 à 60 % d’une année sur l’autre ». C’est donc en peu de mots vous dire les énormes défis qui attendent cette Agence.

Comme précédemment indiqué, il faut savoir que la création de cette nouvelle Agence trouve sa source dans une stratégie politique du nouveau président congolais destinée à maximiser les recettes publiques et par la même occasion à rassurer les partenaires internationaux.

Il est vrai que j’ai eu à exercer les fonctions de Head of Compliance d’une importante firme financière de droit suédois dont je préfère taire le nom. Il s’agissait là de veiller à la conformité des activités de ladite firme suédoise. La compliance tire sa source de la règlementation bancaire et financière.

La fonction de conformité est une fonction indépendante qui identifie, évalue, et contrôle le risque de non-conformité de l’établissement, défini comme le risque de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière significative, ou d’atteinte à la réputation, pouvant naître du non-respect de dispositions propres aux activités bancaires et financières, qu’elles soient de nature législatives ou règlementaires, ou qu’il s’agisse de normes professionnelles et déontologiques, ou d’instructions de l’organe exécutif. Le responsable de la conformité a également un rôle d’information, de formation et de conseil, tant vis-à-vis des collaborateurs que vis-à-vis de la direction de l’établissement. Le champ de compétences de la conformité est donc très large.

De ce point de vue, l’Agence sera responsable de l’élaboration d’un plan de prévention et de lutte contre la corruption. Ainsi donc elle devra anticiper les différents scénarios en préconisant un cadre d’activités et des modalités des fonctionnements assortis des sanctions adaptées.

Laurent Mutambayi

CP : Avez-vous des craintes ou des doutes quant à l’impact réel du travail de l’Agence ?

L’Agence devra accompagner la vision du chef de l’Etat en matière de lutte contre la corruption. Elle a vocation à assurer la coordination entre les différents ministères et administrations impliqués dans la prévention, la détection et la répression de la corruption. Et tout cela ne pourra se faire que dans un processus de coordination avec l’ensemble des acteurs, aussi bien privés que publics. L’Agence n’a surtout pas vocation à se substituer à la justice en ce qui concerne le volet rôle répressif, qui reste du domaine de l’institution judiciaire.

La corruption s’est tellement généralisée que cette agence risque d’être le parent pauvre de cette législature. L’expérience avec le bureau du conseiller en charge de la lutte contre la corruption sous le président pouvoir doit servir de leçon. Le succès de cette agence dépendra de l’implication personnelle du chef de l’état, de la collaboration du parquet et d’autres intervenants et partenaires. La clientèle de cette agence ne sera certainement pas constituée des mamans marchandes ou de vendeurs de pain ambulants.

CP: Qui remplissent à votre avis les critères pour diriger cette Agence ? Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer le recrutement de l’avocat camerounais. Quel est votre avis sur cette question?

LM : La réponse à cette question relève de la discrétion du président de la république. Ne pouvant jouer à madame soleil, je ne saurai malheureusement pas vous donner le nom des futurs animateurs de cette structure. Tout ce que je sais est que le pays compte suffisamment de profils intéressants qui peuvent se prévaloir des connaissances et expériences pertinentes aussi bien sur place en RDC qu’en dehors. Il est vrai que la collaboration de l’avocat camerounais avec la présidence congolaise en vue de renforcer l’expertise de l’Agence nouvellement créée a soulevé un tollé. Ce débat est, à mon sens, prématuré car à ce jour, personne n’a encore été investie de la mission de piloter cette nouvelle structure. D’autre part, il faut savoir qu’un Chef de l’Etat a pleinement le droit de s’asseoir avec des personnes de son choix afin d’échanger de bonnes pratiques et/ou d’enrichir sa réflexion. Il n’y a pas de mal à cela. Je recommanderai donc aux uns et aux autres un peu de patience. Il y a bien des congolais dans des hautes fonctions à l’étranger sans que cela ne dérange ni n’offusque.

CP : Comment voyez-vous la collaboration entre cette agence les entreprises ?

LM : La lutte contre la corruption est à ce jour solidement établie comme un des principes du Pacte mondial des Nations Unies. La collaboration avec les entreprises et le monde du travail y occupe une place de choix. Si les pots-de-vin sont un outil commercial, cela donne lieu à un combat inégal lorsque les entreprises qui respectent la loi sont exclues de certains marchés. En modifiant les décisions des agents économiques, la corruption décourage les investisseurs et nuit à la compétitivité. Il sera donc important que l’Agence s’intéresse également aux acteurs privés et s’attèle à mettre en place, dès son installation, des outils, des mécanismes et procédures de contrôle et surtout de collaboration avec le privé. Les derniers scandales financiers en date au Congo mettent en exergue le rôle non négligeable que des entreprises privées peuvent jouer dans la chaîne de la corruption. D’où la nécessité pour l’Agence de mettre en place une étroite collaboration avec le secteur privé.

CP : Ne pensez-vous pas que l’Agence risquera d’être une coquille vide, une structure sans réels pouvoirs ?

LM : Il est clair que l’Agence a mis du temps à voir le jour. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on. Le plus important est qu’elle est là aujourd’hui et va devoir centraliser le travail de prévention et lutte contre la corruption auprès du chef de l’Etat en synergie avec tous les corps et organes de l’Etat investis de la même mission. Je pense que cette Agence anticorruption va progressivement engranger de l’expérience. Par ailleurs, l’Agence disposera, directement ou indirectement de la collaboration des différents services publics dotés d’un réel pouvoir de sanction. L’Agence ne sera surtout pas être un cabinet d’audit. Son efficacité dépendra fortement de la vision et la volonté politique du chef de l’Etat et plus particulièrement des moyens conséquents dont elle sera dotée au risque de n’être qu’une jolie couche de vernis sur une législation ou architecture institutionnelle obsolète ou ignorée.

CP: Quel accueil les différents acteurs pourront réserver à l’Agence anticorruption ?

LM : Si je vous dis que cette agence était attendue depuis la formation du cabinet du Chef de l’Etat, je ne vous apprends rien. L’absence d’un service spécialisé dévolu à la lutte contre la corruption constituait même un des reproches formulés à l’encontre du président Félix Tshisekedi.

Pour ce qui est de l’accueil, il est clair que la création de l’agence a été favorablement accueillie par tous les congolais et les partenaires externes qui considèrent que la corruption constitue un obstacle majeur à la croissance économique, et l’édification d’un Etat de droit, bref au développement du pays.
En revanche, je ne suis pas sûr que la création de cette agence ait été aussi saluée par les différents réseaux qui vivent de cette corruption passive comme active, aussi bien petite que grande. Ils vont désormais devoir faire très attention pour ne pas tomber dans le filet càd se conformer aux exigences légales qu’ils étaient habitués à fouler aux pieds. De manière générale, il convient de retenir que cette agence est nécessaire pour combattre cette culture de corruption généralisée et promouvoir une culture anticorruption souhaitée par une très large majorité des citoyens.

CP : Pensez-vous que cette culture de la corruption, qui est fort répandue au Congo, va disparaître avec l’arrivée de l’Agence ? Quel modèle d’approche recommanderiez-vous ?

LM : Je ne me fais aucune illusion. A ce stade-ci, il serait hasardeux d’affirmer que l’Agence va faire disparaître la corruption ou la culture de corruption en RDC. Ne soyons pas naïfs, il est clair que les adeptes de cette culture ne vont pas rester indifférents. Ils vont vite s’adapter.

Pour vous dire vrai, pour avoir fait une partie de ma formation de droit aux Pays-Bas et aux Etats-Unis, je suis plutôt partisan d’une approche anglo-saxonne de la lutte contre la corruption. Il faut savoir que les législations britanniques et américaines affichent des taux de performance impressionnants et tendent à mondialiser un droit anti-corruption. Ceci n’est pas le fait du hasard. En effet, ces politiques anglo-saxonnes se veulent d’une rigueur extrême et d’une dureté sans précédent. Le Bribery Act 2010 – qui est la loi britannique relative à la prévention et répression de la corruption – a fait trembler les entreprises qui tombaient sous son empire. Or, la loi britannique s’inspire beaucoup du Foreign Corrupt Practices Act (son pendant américain), considéré comme l’une des législations les plus dures en la matière.

Je préconiserai donc que l’Agence anticorruption congolaise s’inspire du modèle américain qui a incorporé l’obligation de probité dans la gouvernance des entreprises. Outre la question des moyens de son action, l’Agence devra être rigoureuse et d’une dureté sans précédent si elle est déterminée à inverser la courbe de la corruption autrement elle ne servira à rien.

CP : Pensez-vous que l’Agence devra coopérer avec d’autres services publics de l’Intérieur, de l’Economie, des Finances et Justice qui disposent déjà des services d’enquête ?

LM: J’ai le sentiment que la logique qui a prévalu à la création de l’Agence était de retirer la RDC du top 15 des pays les plus corrompus au monde. Et j’espère qu’elle traduisait aussi la volonté de rompre avec un certain nombre de pratiques qui concernent aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés. Pour y parvenir, l’Agence devra inévitablement collaborer avec différents services publics pour remplir sa mission. Ceux-ci sont tenus de se prêter une assistance mutuelle dans la détection et la répression de la corruption. Cela passe notamment par la recherche des preuves et leur communication à qui de droit afin de poursuivre les coupables et de prendre des mesures ad hoc pour faciliter la recherche, le gel, la saisie et la confiscation du produit de la corruption. L’instauration et le maintien d’un état de droit est un défi quotidien. Chaque jour, nous sommes tous appelés à promouvoir l’état de droit dans nos activités.

CP : On a observé un débat entre des experts juristes constitutionnalistes et non constitutionnalistes autour de l’Agence, sur la légalité et la constitutionnalité de l’Agence. Quelle est votre sentiment sur ce débat?

LM : C’est un débat passionné que j’ai également suivi avec satisfaction et parfois aussi avec un peu déception. Beaucoup d’encre et de salive a coulé sur cette question. Il est important de savoir que le Congo a ratifié la Convention des Nations Unies contre la Corruption ainsi que le Protocole de la SADC contre la Corruption. Autant il convient de préciser que la création de l’Agence s’appuie essentiellement sur les deux instruments juridiques susvisés. D’autre part, la lutte contre la corruption dans un Etat relève incontestablement de son droit interne. Pour ceux qui l’auraient oublié, il convient de rappeler qu’en droit international, les dispositions d’une Convention Internationale peuvent directement s’appliquer dans l’ordre juridique interne sans nécessité de transformation préalable. Cela découle de la thèse moniste qui énonce que le droit international s’applique directement dans l’ordre juridique interne des Etats par opposition à la conception dualiste qui requiert que la disposition conventionnelle en question soit au préalable convertie en droit positif interne avant qu’elle ne puisse s’appliquer. Or il n’est un secret pour personne que l’Etat congolais est de tradition moniste avec primauté du droit international. La constitution congolaise déclare en son article 215 que les traités ou accords internationaux valent loi.

D’un point de vue pratique, bien que je sois un juriste formé aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, je suis d’avis qu’à un moment donné il ne faut pas ennuyer le peuple avec trop de débats savants et juridiques. Sans denier l’intérêt de ce débat, je demeure convaincu que nos éminents juristes, professeurs d’université de surcroit, ne devraient pas s’étriper sur la place publique mais plutôt confronter leurs différents arguments juridiques dans un cadre académique, dans des salons scientifiques. Ils devraient donc éviter de perturber inutilement le curseur du président de la république, de la population et des différents partenaires dans la lutte contre la corruption qui est censée rapporter des milliards au trésor public et qui doit demeurer la principale priorité.

Ce débat n’est pas sans me rappeler le débat juridique qui a entouré la création de la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete sise à Limete. Le jeune adolescent à l’époque qui s’intéressait à la carrière professionnelle de son père, je me souviens que certains acteurs judiciaires de l’époque s’y opposaient en s’appuyant sur beaucoup d’arguments juridiques. La même chose a été observée lors de la création du barreau attaché à cette même Cour d’Appel. Aujourd’hui, plus personne ne fait allusion à ces débats. Grande est la joie de la population, des partenaires de voir le Parquet Général près la Cour d’Appel de Matete sis à Limete prendre la tête de peloton dans la lutte contre la corruption.

Ce qui est frappant dans ce type de débats est la méconnaissance totale du critérium d’efficacité et d’efficience qui prévaut souvent à la création de ce genre de service spécialisé. Je peux, par ailleurs, comprendre que les gens s’agitent parce que c’est quelque chose de nouveau. Depuis la nuit des temps, l’inconnu a souvent inspiré la peur à l’homme. Il faut cependant privilégier l’intérêt supérieur du pays. Lequel passe aujourd’hui par la maximisation des recettes publiques. La création de l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption de privilégier est donc à inscrire dans cette perspective. En résumé, j’inviterai les pour et contre à considérer plutôt l’intérêt pratique de cette Agence anticorruption face aux considérations d’ordre académique dans lesquelles ils s’engluent.

CP : Pensez-vous que l’Agence de la lutte contre la corruption pourra répondre à sa vocation ?

LM : Je retiens que, pour son premier mandat à la tête du pays, le chef de l’État, a décidé de faire de la lutte contre la corruption, une de ses priorités, en vue de conduire la RDC vers son développement à travers la maximisation des recettes. Il a lui-même reconnu que la corruption a été endémique et banalisée. La lutte contre la corruption en RDC ne va pas automatiquement atteindre sa phase cruciale du simple fait de la création d’une nouvelle vitrine ayant pour objectif principal la prévention et la lutte contre la corruption. Si la législation congolaise intégrée en matière de lutte contre la corruption n’est pas scrupuleusement mise en œuvre, il est clair qu’on va courir après le vent. J’irai jusqu’à suggérer aux différents animateurs de cette structure de s’aligner sur les législations anglo-saxonnes en ouvrant ainsi la porte à un véritable projet de législation anti-corruption. Cela est d’autant plus souhaitable que les principaux acteurs de la corruption agissent généralement en réseau et parfois au-delà des frontières étatiques.

Lors de son récent séjour en France, le président Félix Tshisekedi soulignait lui-même que : « La RDC est parmi les pays les plus corrompus du monde. Mais vous n’avez jamais un seul procès qui met en cause les corrompus et les corrupteurs. » « Soit la justice n’est pas prête, soit elle n’a pas l’expertise ». La création de l’Agence est un pas important dans la lutte contre la corruption. La question de l’allocation des moyens conséquents demeure entière. Si on veut réellement changer de paradigme, il faudra y mettre les ressources légales, financières, logistiques et humaines pour traduire en acte cette volonté affirmée par le Chef de l’Etat congolais.

CP : Pour conclure cette rencontre, que peut-on souhaiter à cette Agence anticorruption ?

LM: Point n’est besoin de rappeler que la corruption entame aussi la confiance du citoyen dans la légitimité et la transparence des institutions. Elle entrave également l’adoption de lois justes et efficaces autant qu’elle vicie l’administration et l’exécution des lois et l’action des tribunaux. La corruption n’est pas seulement un problème national, mais aussi un problème international et transnational. Ainsi, la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC), entrée en vigueur en 2005, sert de base aux efforts menés à l’échelle internationale. Par ailleurs, le fait que la Déclaration adoptée à l’unanimité en 2012 traite de la question de la corruption d’une manière aussi approfondie montre clairement que l’ensemble des membres de l’ONU attache, à juste titre, une grande importance à cette question et à l’état de droit.

La RDC n’est pas de reste et la corruption n’étant pas une fatalité, je souhaiterais donc que l’Agence arrive rapidement à démontrer qu’elle était le maillon qui manquait dans la stratégie congolaise de lutte contre la corruption. Je serai d’autant plus rassuré de voir l’Agence faire la promotion d’une culture de la transparence, de l’intégrité et de la responsabilité par l’exemplarité de ses actions.

CP : Quel est votre mot de la fin ?

LM : Il est clair que la corruption a un effet négatif sur le fonctionnement des institutions démocratiques. Elle est une menace à la gouvernance et à la stabilité des jeunes et souvent des démocraties fragiles. Elle nuit à la légitimité du gouvernement et aux valeurs démocratiques et affaiblit l’État car elle mine sa crédibilité et fragilise la confiance des populations dans les institutions publiques. La lutte contre la corruption doit donc aller de pair avec le renforcement de l’état de droit et de la bonne gouvernance ainsi qu’avec l’établissement d’institutions solides qui, à leur tour, vont booster le développement humain.

Aujourd’hui, les gouvernements, les entreprises et les citoyens congolais ont tout intérêt à se doter d’une loi anticorruption qui soit davantage respectée à tous les niveaux de la société et à promouvoir l’état de droit afin d’œuvrer pour le bien public.

Nous assistons ces dernières semaines pour la toute première fois depuis plus de 40 ans à un spectacle inédit. En effet, plusieurs haut fonctionnaires ou dignitaires de l’Etat sont invités, interpellés par la justice dans le cadre de plusieurs dossiers de l’Etat. Des mesures privatives de liberté sont prononcées à titre conservatoire en attente de l’ouverture des procès. Pour le juriste et fils du juge de carrière que je suis j’ai toujours eu un profond respect pour la justice, condition nécessaire à l’émergence d’un Etat de droit. Autant les multiples interpellations redonnent de l’espoir autant il est nécessaire que toutes les personnes interpellées puissent jouir de la présomption d’innocence et que toutes les procédures se déroulent dans le strict respect de leurs droits.

La question de l’immigration clandestine qui est une des conséquences directes ou indirectes de la corruption fait l’objet des discussions au niveau européen en tant que continent de destination et des nations unies mais il serait également temps que l’organisation africaine et ses pays respectifs se saisissent également de cette discussion en tant que continent de départ, et plus particulièrement encore les pays d’origine des migrants (économiques) concernés. Des milliers des vies humaines en dépendent. Je clôture avec la pensée de Martin Luther King qui a dit qu’on a besoin de leaders qui ne sont pas amoureux de l’argent, mais de la justice… qui ne sont pas amoureux de la publicité, mais de l’humanité. J’ai dit.

Propos recueillis par Tchèques Bukasa


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Guerre du M23/Rwanda : Des milliers de personnes fuient les combats en direction de Goma et au-delà

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Les violents affrontements autour de la localité de Sake, dans l’est de la RDC, qui opposent l’armée congolaise, appuyée par ses alliés locaux, et le M23, soutenu par le Rwanda, poussent des milliers d’habitants de la région à fuir les combats. Si la plupart vont chercher refuge à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu situé à seulement une vingtaine de kilomètres de là, d’autres préfèrent aller au-delà et franchir la frontière avec le Rwanda. Reportage.

À Goma, en RDC, l’angoisse est palpable sur la route principale qui relie les quartiers de Ndosho et de Katindo. Des colonnes de déplacés circulent à pied, à moto ou en bus en direction du chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Désespérées, Alice et Kanyere racontent leur calvaire. « Il y a de nombreuses détonations et des avions qui bombardent là d’où nous venons. Il y a aussi beaucoup de militaires sur la route. Tout le monde s’enfuit ! », confie la première. « Beaucoup de bombes explosent et les balles sifflent. Nous avons dû quitter les huttes de notre camp, témoigne la seconde, dépitée, avant de poursuivre : je n’ai pas de famille à Goma. Il faut que le gouvernement termine la guerre ! »

Âgé d’une trentaine d’années, Haguma Banga marche, lui, avec un matelas sur la tête. Après avoir fui Sake, il est toujours sans nouvelle de sa famille. « Je ne sais pas où sont ma femme et mes cinq enfants. Ce serait un miracle de les retrouver », se désole-t-il.

A l’hôpital CBCA Ndosho, le personnel soignant s’active pour recevoir les blessés qui affluent également en masse, comme Mariam Kashindi, 22 ans, qui a quitté Sake en urgence après avoir reçu un éclat d’obus dans le bras. « Nous avions commencé à fuir, nous étions devant le marché de Mubambiro quand ma fille a été touchée par une bombe dont les éclats m’ont atteint, raconte-t-elle avant de poursuivre : nous fuyons le M23. J’ai trois enfants. L’un a été blessé, quant à l’autre, je ne sais pas où il est ».

« Nous étions un groupe de femmes, plusieurs sont mortes sur le coup »
Un peu plus loin, Neema Jeannette pleure allongée sur un lit. Elle a été touchée par une explosion alors qu’elle se trouvait avec un groupe d’amies. « Une bombe est tombée sur nous. Nous étions un groupe de femmes, plusieurs sont mortes sur le coup. Moi, je suis la seule survivante. Je remercie le CICR de m’avoir prise en charge à l’hôpital », sanglote-t-elle.

Cheffe de la sous-délégation du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Nord-Kivu, Miriam Favier explique que l’établissement a été contraint d’activer ses quatre blocs opératoires en raison de l’afflux de blessés. « Depuis ce matin, plus de 70 patients sont déjà arrivés et ce n’est pas fini. C’est assez inquiétant », déplore-t-elle.

Si, à Goma, les autorités militaires comme la société civile appellent au calme, des écoles et plusieurs boutiques ont toutefois fermé leurs portes, tout comme l’Institut français, qui a décidé de suspendre temporairement ses activités. Les billets de tous les spectacles annulés seront intégralement remboursés, explique la structure dans un communiqué.

« Même ici, on vient d’entendre un obus tomber »

Anticipant une nouvelle dégradation de la situation sécuritaire, certains habitants ont, quant à eux, décidé de prendre les devants et sont passés au Rwanda voisin, où ils ont trouvé refuge dans la ville frontalière de Rubavu pour la plupart. « Mon mari habite ici, il m’a dit de le rejoindre pour fuir la panique qui s’empare de la ville de Goma », déclare ainsi Amina, une valise à la main et accompagnée de ses deux enfants.

Innocent, lui, a trouvé une chambre dans un hôtel. « Il y avait foule au niveau de la douane, c’était plein à craquer, rapporte-t-il. Alors, quand on a des enfants en bas âge, on ne va pas attendre la dernière minute pour partir, car on ne sait pas vraiment ce qu’il va se passer, on n’est pas sur la ligne de front. Même ici, on vient d’entendre un obus tomber, alors imaginez : quand on est à Goma, c’est comme si l’explosion avait lieu dans la parcelle d’à côté. Voilà pourquoi on a décidé de partir » poursuit celui-ci.

Comme beaucoup d’autres habitants du chef-lieu du Nord-Kivu, Innocent prévoit de rester à Rubavu, le temps de voir comment évolue la situation, avec l’espoir de pouvoir rentrer chez lui le plus rapidement possible.

RFI


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