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Kabila lâche, Tshisekedi frappe. Est-ce la fin de la République des intouchables ?

Le président honoraire, Joseph Kabila, a reçu dans moins de deux semaines, les représentants de l’Union africaine, du Royaume-Uni et des États-Unis. Des visites rappelant sans doute celles de Bill Richardson sous Joseph-Désiré Mobutu et de Madeleine Albright sous Laurent-Désiré Kabila.
Un seul point à l’ordre du jour de leur conversation: mettre la pression sur l’ancien président congolais afin qu’il ne puisse plus mettre les bâtons dans les roues de Félix Tshisekedi, son successeur.
En premier lieu, Kabila reçoit le chargé d’affaires de la Grande-Bretagne en RDC, Paul Akwright, le 14 février, puis Peter Pham, l’envoyé spécial des États-Unis dans la région des Grands lacs le lendemain.
Et le lundi, c’était au tour de Smaїl Chergui, à la tête de la Commission de l’Union africaine pour la paix et la sécurité d’être reçu au domaine de Kingakati et non pas à GLM dont l’avenue Roi Baudouin longtemps fermée à la circulation a été ouverte. Tout un symbole.
Juste après ce ballet des ambassadeurs, la situation politique a pris une autre vitesse en RDC.
Déjà que le Secrétaire permanent du PPRD, Emmanuel Ramazani Shadary, qui menaçait de mettre le pays sens dessus-dessous si l’on touchait à un poil des cheveux de Albert Yuma, l’influent patron de la Gécamines mis en résidence surveillée pour l’affaire de 200 millions de USD pris en étau entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, fut contraint de débarquer d’un avion alors qu’il se rendait au Burundi. C’est fut, ensuite, le tour du puissant Kalev Mutond, l’ancien Directeur général de l’ANR et de la soeur jumelle de l’ex-président de la République d’être empêchés de sortir du territoire national.
L’autre paire de manche est la lutte contre la corruption.
Peter Pham avait prévenu que celui qui osera s’interposer à cette lutte, rencontrera l’Amérique sur son chemin.
La nomination de nouveaux haut magistrats fut le prélude au balayage de la cour de justice et la fin de la magistrature à vie dont Flory Kabange, l’ancien procureur général, était le symbole le plus marquant.
Quand le chef de l’État demande clairement, à haute et intelligible voix d’être lui-même audité sur sa propre gestion (gestion de sa dotation, frais de représentation et frais de mission), certaines personnes avaient cru à la fantaisie.
Et pourtant, ce dernier a toujours répété, depuis qu’il était opposant et chef de tous les autres opposants (il était le président de RASSOP, juste après le décès de son père ), qu’il faut prêcher par l’exemple.
L’exemple encore, c’est le reversement au trésor public d’une ardoise de 163.000 $ non utilisée lors de son dernier voyage à Addis-Abeba lors du sommet de l’UA.
L’opinion se souvient qu’il avait déjà remis des fonds à l’État lors de sa seconde sortie du pays en tant que chef de l’État, rééditant l’exploit de Kasa-Vubu, le premier président de la RDC.
Le chef prêche sur la lutte contre la corruption
Une prêche qui a abouti au grand audit mis en branle pour démêler le vrai du faux de l’utilisation des fonds du Programme de 100 jours.
Cet audit a déjà envoyé en taule deux entrepreneurs étrangers, David Blattner, le DG de Safricas et Samih Jammal, le patron de Somibo Congo et Husmal qui a même connu un malaise en prison centrale.
Hier encore, le DG de l’Office des Routes, Mutima Sakrini, fut mis aux arrêts après avoir été entendu une deuxième fois par le procureur général près la Cour d’appel de Matete.
Celui de l’OVD serait relaxé. Peut-être pour un temps.
Il faut noter dans le même registre l’audition du DG du Fonds de Promotion pour l’industrie (FPI), Patrice Kitebi Kibol Mvul, par le Parquet Général près la Cour d’Appel de Matete sur réquisitions du procureur. Il a passé toute l’après-midi à répondre du comment de la gestion des fonds de ce programme dont son service était l’un des pourvoyeurs.
Heureusement pour lui, il a été relaxé. Peut-être pour un temps également.
Et tout cela, sur fonds de la suspension du Général Kahimbi Delphin, le numéro un du renseignement militaire et son remplacement par le Général Mandiangu.
Il sera encore entendu par le Conseil National de Sécurité (CNS) ce vendredi.
Ce sulfureux général risque gros au vu des graves accusations de violations de droit de l’homme dont il fait l’objet.
Ida Sawyer de Human Rights Watch, ainsi que l’ambassadeur des USA, Mike Hammer, l’Envoyé Spécial des États-Unis pour la région de Grands lacs, Peter Pham et même le sous-secrétaire américain aux Affaires africaines, Tybor Nagy, se réjouissent de cette décision et attendent plus du gouvernement congolais.
#La nomination des mandataires publics, Fatshi intransigent#
Du côté des négociateurs FCC-CACH sur la répartition des postes des mandataires publics, l’on apprend par ailleurs que Félix Tshisekedi a été intransigeant.
Il a, semble-t-il, frapper du poing sur la table pour que les anciennes têtes ne reviennent plus et que des audits de leurs entreprises soient effectués, partis ou pas.
Ainsi, selon certaines indiscrétions, l’on apprend l’arrivée à la Banque Centrale du Congo du technocrate Noël Tshiani Mwadia Nvita, candidat malheureux à la dernière présidentielle, un type qui n’a pas souvent sa langue dans sa poche.
On annonce aussi le retour en service de Luzolo Bambi Lessa, qui aurait eu pour tâche de ramener tout son sac de dossiers concernant la corruption et le blanchiment d’argent, dossiers qu’il avait mis en vain à la disposition de l’ancien PGR Kabange Numbi, sans succès.
Est-il que peu importe les résultats de ces audits déjà entamés, Félix Tshisekedi a eu le courage de frapper sur un essaim dont les conséquences combien incalculables soient-elles, nous poussent à croire à la fin du règne des intouchables.
Bishop Mfundu/CONGOPROFOND.NET
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Corridor de Lobito, PGII, AGOA : à Luanda, Kinshasa veut sortir de l’ombre

La participation du président congolais Félix Tshisekedi au 17ᵉ Sommet des affaires États-Unis-Afrique, qui s’est ouvert ce 23 juin à Luanda, dépasse la simple logique de présence protocolaire. Elle marque une inflexion stratégique dans la diplomatie économique de la République démocratique du Congo (RDC), qui cherche à redéfinir sa place dans la nouvelle cartographie industrielle du continent.
Ce sommet, organisé par le Corporate Council on Africa, réunit plus de 1 500 décideurs publics et privés. Il s’inscrit dans un contexte où les rapports entre puissances et pays africains connaissent une redéfinition accélérée, sous l’effet conjugué des rivalités sino-américaines, des pressions climatiques et de la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales.
Changement de posture : la RDC ne veut plus subir la mondialisation, elle veut la façonner
La prise de parole attendue de Félix Tshisekedi sur le projet du Corridor de Lobito révèle une ambition politique claire : transformer les infrastructures régionales en leviers d’influence géoéconomique. Ce corridor ferroviaire, qui vise à relier les provinces minières de la RDC et de la Zambie aux ports angolais, incarne bien plus qu’un chantier logistique. Il symbolise une volonté de rupture avec un modèle extractif qui a longtemps cantonné le pays à un rôle périphérique.
À travers ce projet, soutenu par le Partnership for Global Infrastructure and Investment (PGII) — la réponse américaine à l’initiative chinoise Belt and Road — Kinshasa tente de s’imposer comme un point nodal dans la stratégie d’approvisionnement occidental en minerais critiques, tout en défendant une industrialisation localisée.
Cette démarche s’inscrit dans une double logique : sécuriser les débouchés tout en renforçant la capacité du pays à générer de la valeur ajoutée sur place. En d’autres termes, la RDC aspire à passer du statut de fournisseur de matières premières à celui de co-producteur dans les chaînes globales.
Une fenêtre diplomatique à exploiter avec précaution
Les discussions bilatérales de Tshisekedi, notamment avec l’entourage du président américain Donald Trump, interviennent dans un climat d’incertitude commerciale. L’accord AGOA (African Growth and Opportunity Act), instrument central des relations économiques USA-Afrique depuis plus de deux décennies, arrive à expiration en septembre 2025. Son avenir reste flou, et les signaux politiques en provenance de Washington oscillent entre maintien sélectif et refonte structurelle.
Dans ce contexte, la RDC tente de capitaliser sur une présence active et ciblée : elle se positionne comme un interlocuteur stable, doté d’un agenda industriel affirmé, dans un environnement régional encore marqué par des instabilités récurrentes. Ce positionnement est d’autant plus stratégique que les États-Unis cherchent à rééquilibrer leur influence face à la Chine, qui vient d’annoncer une quasi-suppression des droits de douane pour plusieurs produits africains.
Un test grandeur nature pour la crédibilité de Kinshasa
Mais cette ambition ne peut se contenter d’annonces. Elle appelle des résultats tangibles, à commencer par la capacité du gouvernement congolais à structurer ses filières industrielles, sécuriser ses réformes foncières et fiscales, et garantir un cadre juridique attractif pour les investisseurs.
Le sommet de Luanda sert donc de test : il ne s’agit plus simplement d’attirer l’attention, mais de démontrer la solidité d’un projet économique cohérent. La RDC devra prouver qu’elle peut sortir du cycle bien connu « ressources-extraction-exportation » pour entrer dans un schéma « ressources-transformation-partage de valeur ».
Vers un repositionnement structurel ou simple opération de communication ?
L’activisme économique de la RDC, visible à Luanda, traduit une prise de conscience : celle que l’avenir du pays ne réside pas dans le volume de ses exportations brutes, mais dans sa capacité à intégrer les standards et les exigences des chaînes de production mondiales.
Il reste à savoir si cette dynamique s’inscrira dans la durée ou si elle demeurera circonstancielle, dictée par le calendrier électoral américain, la volatilité des cours des métaux, ou les aléas internes congolais. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la RDC s’est engagée dans une reconfiguration stratégique qui ne laisse plus de place à la passivité. Elle veut compter. Il lui faudra maintenant convaincre.
Franck Tatu