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« Joseph Kabila n’a pas dénoncé Kagame. Il y a des signes qui ne trompent pas ! » (Denis Mukwege)

Dans une interview exclusive accordée à France 24, le Prix Nobel de la Paix 2018, Dr Denis Mukwege, dresse un réquisitoire implacable contre les dérives politiques, sécuritaires et humanitaires de la République démocratique du Congo.
Sans détour, le fondateur de l’hôpital de Panzi revient sur le « deal » de 2018, critique la gestion actuelle du pays et revient avec amertume sur son expérience électorale. Un témoignage fort, à la fois lucide et profondément humain.
Pour Denis Mukwege, les Congolais n’ont jamais réellement connu une alternance démocratique en 2018. Il dénonce un « deal à l’africaine » entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, évoqué à l’époque même par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
« Nous savons que ce n’est pas Félix Tshisekedi qui avait gagné les élections. Nous savons que M. Kabila a choisi son successeur. »
Ce silence sur les dessous de l’accord entre les deux hommes reste, pour Mukwege, une insulte à la démocratie et une blessure ouverte dans la conscience collective congolaise.
Dr Mukwege dresse un tableau sombre de la situation actuelle en RDC. Il parle d’un État affaibli, rongé par la corruption, et d’une armée nationale dépassée par les événements.
« C’est un échec sécuritaire cuisant. La militarisation de l’Est, l’externalisation de nos services de sécurité, tout cela n’a rien donné. »
Il pointe du doigt la multiplication des groupes armés dans l’Est du pays : M23, RDF, Wazalendo… tandis que l’armée congolaise peine à reprendre le contrôle du territoire. À ses yeux, cette instabilité est le résultat d’une mauvaise gouvernance et de décisions stratégiques désordonnées.
Mukwege reproche à l’ancien président Joseph Kabila de ne pas avoir formellement dénoncé l’agression du Rwanda, malgré les preuves et les résolutions internationales existantes, notamment la 27113 du Conseil de sécurité.
« Il n’a pas fait allusion à l’agression rwandaise. Et il est même entré dans le pays… par le Rwanda. Ce sont des signes qui ne trompent pas. »
Il déplore également l’absence de solidarité internationale pour mettre fin à cette situation, pointant du doigt les « doubles standards » dans la diplomatie mondiale.
Candidat malheureux à la présidentielle de décembre 2023, Denis Mukwege revient sur une campagne difficile, entachée par une corruption généralisée.
« Je savais que mon pays était corrompu, mais je ne pensais pas que c’était à ce niveau-là. Très peu de gens peuvent dire non devant un billet de banque. »
Déçu mais pas brisé, Mukwege affirme qu’il ne se représentera pas dans les mêmes conditions. Cependant, il reste engagé corps et âme pour la justice, la paix et la défense des vulnérables.
Face à la multiplication d’initiatives diplomatiques africaines et internationales (Qatar, États-Unis, Union africaine…), Mukwege plaide pour une réelle coordination. « Si ce n’est pas coordonné, ça donnera le même résultat. Il faut une conférence internationale où tous les acteurs se retrouvent. »
Pour lui, seule une action collective structurée et inclusive pourra sortir la région des Grands Lacs de cette spirale infernale.
Malgré les menaces, l’exil temporaire et les désillusions politiques, Dr Denis Mukwege ne baisse pas les bras. « Dès que je le pourrai, je retournerai à Bukavu pour soigner. Je suis engagé pour les vulnérables, pour la paix et la justice. »
À travers cette interview, le chirurgien devenu icône mondiale des droits humains rappelle une évidence : la vie des Congolais a une valeur. Et il continuera de la défendre, avec force et dignité, quelles que soient les épreuves.
Dorcas Mwavita/CongoProfond.net
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Décès d’Aaron Muyenga : Un baobab de l’entrepreneuriat congolais s’est éteint

Ancien président de la COPEMECO et du DCMP, Aaron Muyenga, figure emblématique de l’entrepreneuriat congolais et propriétaire du Dancing Club Auberge à Lemba, est décédé ce matin. Il laisse derrière lui un héritage marqué par le travail, la foi et l’engagement pour le développement du Congo.
Le monde des affaires et du sport congolais est en deuil. Aaron Muyenga, ancien président national de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises du Congo (COPEMECO) et de la Fédération des Entreprises du Congo (FELECO), s’est éteint ce matin, après une longue lutte contre la maladie. Entrepreneur visionnaire, homme de foi et patriote convaincu, il a marqué de son empreinte plusieurs secteurs de la vie nationale.
Un bâtisseur au service des PME
Véritable artisan de la promotion des petites et moyennes entreprises, Aaron Muyenga s’est illustré par son engagement constant en faveur de l’autonomie économique et de l’entrepreneuriat local.
Sous sa présidence, la COPEMECO a connu un élan nouveau dans la défense des intérêts des entrepreneurs congolais.
« C’était un homme de conviction, toujours à l’écoute, animé par la volonté de voir émerger une classe moyenne nationale forte », témoigne Georges Bukasa Tshienda, lui-même ancien président de la COPEMECO.
Le promoteur du Dancing Club Auberge
Propriétaire du Dancing Club Auberge, situé à Lemba, Aaron Muyenga avait aussi contribué à dynamiser la vie sociale et culturelle de Kinshasa. Ce lieu emblématique, devenu au fil des années une véritable institution, témoigne de son sens de l’innovation et de son désir de créer des espaces de convivialité pour la population kinoise.
Un dirigeant respecté du football congolais
En parallèle de ses activités économiques, Aaron Muyenga avait présidé le Daring Club Motema Pembe (DCMP), club mythique de la capitale.
Sous sa direction, le club vert et blanc avait connu un regain de stabilité et de discipline administrative.
« Le président Muyenga restera dans nos mémoires comme un homme intègre, passionné et dévoué à la cause du sport congolais », confie un ancien dirigeant du DCMP.
Un homme de foi et de résilience
Malgré la maladie, Aaron Muyenga n’a jamais cessé de servir. Porté par sa foi chrétienne, il voyait dans chaque défi une occasion de grandir et de se rapprocher de Dieu.
« J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi » (2 Timothée 4:7-8), aimait-il rappeler à ses proches, comme une profession de foi et un message d’espérance.
Un modèle pour la jeunesse
Père spirituel et mentor pour de nombreux jeunes entrepreneurs, il prônait le travail, la discipline et la persévérance comme clés de la réussite. « Il croyait profondément que la jeunesse congolaise pouvait transformer le pays, à condition de croire en elle-même », souligne un jeune entrepreneur de Lemba, ému.
Un héritage vivant
Aaron Muyenga laisse l’image d’un patriote engagé, d’un homme d’action et d’un serviteur de la nation.
Sa vie témoigne qu’on peut réussir tout en restant proche de son peuple, fidèle à ses valeurs et à sa foi.
Que la terre de nos ancêtres lui soit douce, et que son âme repose en paix.
Tchèques Bukasa/CONGOPROFOND.NET